Lesbienne et Sorcière ? "Une invention masculine..."
Dans Buffy Contre les Vampires, croyez-vous que le personnage de Willow, sorcière et lesbienne, soit sortie de l’esprit de son créateur, Joss Whedon, par hasard ? Et bien, non. Tout du moins, pas tout à fait. Notre imagination et la création d’idées et de personnages sont toujours influencées par cet inconscient collectif que traîne l’humanité depuis ses débuts et ses déboires. Halloween,c’est chasser la peur, chasser l’autre, le différent, celui qui par sa discrétion et son mystère dérange, interroge et finit par gêner. Halloween, c’est la résultante d’une vieille croyance en les esprits qui n’ont pas connut le repos.
Remontons dans le temps, anciennes sorcières, réveillez-vous et clamez à hautes voix les accusations dont vous avez fait l’objet !...
"Au delà de l'Invisibilité "
Sort, Sortir... ou comment devenir sorcière si l’on est lesbienne (et vice-versa)
Sortir (v. intr.) : Aller hors d'un lieu, du dedans au dehors. Quitter une maison et ses occupants. Se promener. Ne plus être, ne plus appartenir à. Comme dans "sortir du placard".
Sort (n.m.) : Effet magique (…), qui résulte de certaines opérations de sorcellerie.
Comme dans jeter un sort.
Un jour, en faisant des recherches sur la sorcellerie, j'ai réalisé que les mots sortir et sort avaient la même racine latine. Rien de bien malin me direz-vous, mais tout de même. Ayant fait un peu de pouce sur l'idée, je vous propose aujourd'hui de réfléchir sur une dizaine de concepts et idées reçues pouvant indiquer qu'il y a véritablement un lien entre la sorcellerie et le lesbianisme. À vous d'en décider!
1. Les mots lesbienne et sorcière sont des inventions masculines.
D'après Marie-Jo Bonnet, le premier emploi du mot lesbienne au sens de femme aimant une autre femme fut utilisé pour la première fois par un homme au XIX esiècle (1) . Comme beaucoup le savent, le mot vient de Lesbos, île grecque où aurait vécu la grande poétesse Sapho, connue dans l'Antiquité pour ses magnifiques poèmes sur l'amour, dont l'amour entre femmes. Or, il semblerait que le mot sorcière, qui date quant à lui du XII e siècle, soit né lui aussi de l'imaginaire masculin, à l'époque où auraient débuté les persécutions systématiques contre les hérétiques. Le terme décrivait les femmes, ou même les fillettes, qui faisaient usage de magie et qui étaient soupçonnées de faire commerce avec le diable. La grande Inquisition européenne, responsable de l'infamante chasse aux sorcières, s'étendit en gros du XIV e au XVII e siècles. Les inquisiteurs, d'abord des frères dominicains, relayés par la suite par des juges séculiers, réalisaient des persécutions systématiques en voyageant de village en village. C'est à cette époque que la sorcière devint une image très forte dans l'esprit populaire, les femmes étant considérées comme naturellement plus susceptibles de faire commerce avec le diable. On estime d'ailleurs que 80 à 85 p.100 des victimes de la chasse aux sorcières furent des femmes et des fillettes. Aujourd'hui des femmes de partout en Amérique du Nord et en Europe, inspirées par une renaissance féministe, se réapproprient le titre de sorcière.
2. Votre entourage a découvert avant vous que vous étiez lesbienne/sorcière.
Bien curieusement, il arrive que nous soyons les dernières informées de notre réalité. Ainsi, il peut arriver que vous ayez reçu par d'autres le qualificatif de lesbienne - ou même de sorcière - avant même d'avoir expérimenté "la chose". L'affirmation de son identité vient souvent avec les années. De même, il est certain que les femmes accusées de sorcellerie n'étaient pas trop pressées de revendiquer le titre, étant donné que ce "crime" était susceptible de leur coûter la vie.
3. Être lesbienne/sorcière équivaut parfois à signer son arrêt de mort.
Pas trop jojo comme idée, mais tout de même, on sait qu'aimer une autre femme est un geste de défi ultime dans une société patriarcale. Durant les sièclesde l'Inquisition, des milliers de femmes sont mortes sous la torture, par pendaison, sur le bûcher ou abandonnées au fond d'un cachot. On estime qu'il y
aurait eu environ un demi-million de victimes, ce qui représente tout de même un pourcentage énorme
compte tenu que la population de l'Europe ne comptait à l'époque que quelques dizaines de millions de personnes. Aujourd'hui, il existe une quarantaine de pays de par le monde où les gestes sexuels entre
femmes sont considérés illégaux, et parfois punissables de mort (2).
4. En général, rien ne distingue une lesbienne/sorcière d'une autrefemme.
Un sujet très délicat s'il en faut. Certain-es prétendent que "cela" se voit, ou qu'une lesbienne peut toujoursen reconnaître une autre. D'autres disent que l'habit ne fait pas la moniale. Tout dépend si vous passez pour"straight" ou pas. Peut-être y a-t-il quelques petits signes évidents : un grain de beauté par ci, un regard par là. De même, durant l'Inquisition, rien ne distinguait les femmes ordinaires de celles accusées desorcellerie. Aussi, les inquisiteurs avaient-ils l'habitude de chercher des marques sur le corps des accusées.
Un grain de beauté mal placé pouvait être fatal. Le plus souvent, il s'agissait de femmes comme les
autres, parfois âgées (mais une femme de 40 ans était à l'époque considérée comme une femme âgée!),
dénoncées par des voisins jaloux, un beau-fils exaspéré, une communauté désireuse de trouver un
bouc émissaire. On raconte aussi que lors des procès, on faisait entrer les accusées à reculons pour éviter qu'elles ne jettent le mauvais oeil aux inquisiteurs. Était-ce ce qui s'appelle avoir le "look"?
5. Les lesbiennes/sorcières sont des nymphomanes en puissance.
Ça, c'est à vous de le dire! Mais il est certain que dans l'imaginaire populaire, les lesbiennes sont souvent perçues comme des femmes aux capacités sexuelles supérieures, peut-être à cause de l'influence de la porno et de la presse jaune, qui sont le reflet de l'anxiété masculine face à la sexualité féminine. À l'époque de la chasse aux sorcières, les femmes pouvaient être accusées de faire commerce de chair avec le diable. Plusieurs comptes rendus de procès font d'ailleurs état de quelques détails surprenants, obtenus rappelons-le sous la torture ou la menace de torture. Certains chercheurs supposent également qu'il y a plusieurs siècles, des femmes connaissaient la recette de mélanges narcotiques qu'elles absorbaient par voie vaginale à l'aide d'un godemiché (dildo) artisanal. Comme quoi les lesbiennes des temps modernes n'ont rien inventé!
6. Les lesbiennes/sorcières préfèrent l'invisibilité.
Pour éviter le harcèlement, la marginalisation ou les traitements discriminatoires, beaucoup de lesbiennes
choisissent d'être invisibles ou partiellement visibles. Certaines auteures avancent l'hypothèse qu'il est dans la "nature" des femmes de préférer… la subtilité, les nuances et même… l'invisibilité! Ce qui est vrai en tout cas, c'est que depuis des siècles, les femmes se réunissent le soir pour discuter et échanger, réunions qui à certaines époques se faisaient en catimini (3) . Remarquez qu'on a donné aux supposées rencontres de sorcières le nom de "sabbats", ce qui semblerait indiquer un lien entre la persécution des femmes et celle des Juifs, les deux ayant longtemps été associés au diable. Pendant des siècles, les connaissances non orthodoxes se transmettaient de façon secrète et avec beaucoup de précaution. La question de la visibilité était souvent une question de vie ou de mort à une époque où penser autrement équivalait tout simplement à risquer sa vie, qu'on soit homme ou femme.
7. Une fois que vous devenez lesbienne/sorcière, vous l'êtes pour la vie.
Façon de parler, bien sûr, mais le regard que vous permet de développer l'expérience de la marginalité vous transforme pour la vie.
8. Le lesbianisme et la sorcellerie sont contagieux.
Nos amis de la droite ont tendance à faire ce genre d'affirmation - du moins en ce qui a trait à l'ho-mosexualité féminine - et nous ne les contredirons pas (paraît-il qu'une fois qu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer!) Or, petit parallèle intéressant, il se trouve que les inquisiteurs croyaient qu'il fallait éliminer les sorcières de peur qu'elles ne contaminent tout le village. Et comme ils avaient Dieu et l'Église de leur côté, leur influence était énorme. On raconte que dans certaines localités, une fois que l'Inquisition avait fait sa sale besogne, il ne restait plus que quelques femmes. On voit donc que la "purification ethnique" ne date pas d'hier!
9. Le lesbianisme et la sorcellerie sont des concepts politiques.
Le lesbianisme est un concept moderne, apparu dansla deuxième moitié du XX e siècle, dans la foulée du Sortir mouvement des femmes. On parle de politique quand il y a rapport de pouvoir. Et il y a rapport de pouvoir dès qu'une norme est imposée. Les sorcières sont nées de l'imaginaire des inquisiteurs. Elles représentaient tout ce qu'ils ne voulaient pas devenir: elles ne savaient pas lire alors qu'ils étaient des savants, elles avaient d'anciennes pratiques et croyances religieuses alors qu'ils voulaient imposer la vraie foi chrétienne, elles avaientune connaissance pratique des façons de guérir et de soulager par des moyens naturels alors que seuls ceux qui savaient lire le latin étaient autorisés à soigner; et surtout, elles étaient des femmes exclues
des structures de pouvoir alors qu'ils étaient des hommes investis de l'autorité que leur conféraient leurs titres.
10. La lesbienne/sorcière gravite entre deux mondes.
Les lesbiennes ont tendance à vouloir développer tous les aspects de leur personnalité, ceux dits masculinset ceux dits féminins. Elles auraient donc tendance à mieux assumer la complexité androgyne de leur être.
Les sorcières, quant à elles, possédaient des connaissances traditionnelles et pouvaient avoir
recours à des pratiques dites magiques pour soigner. Elles gravitaient donc entre les mondes magique et profane. Lesbiennes et sorcières ont donc la capacité d'alterner entre deux mondes, de déroger aux normes établies, aux catégories reçues: le masculin et le féminin, le profane et le magique. Comme lesbienne et comme sorcière, cette vision nous donne une perspective unique et particulière sur le monde. Undon de double vue? Je vous laisse fabuler sur les autres affinités que vous pourriez trouver entre les lesbiennes et les sorcières. Mais vous êtes peut-être arrivées vous aussi à cette conclusion: si vous êtes lesbienne, vous n'êtes pas loin d'être une sorcière. Et vice-versa!
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(1) Dans un article intitulé "Études sur l'Antiquité - Sapho etles lesbiennes", paru en 1847, Émile Deschanel emploie pour la première fois le mot lesbienne comme qualification sexuelle et non comme désignation ethnique. Le mot sera repris et popularisé quelques années plus tard par Beaudelaire. D'après Un Choix sans équivoque. Recherches historiques sur les relations amoureuses entre femmes. XVIe-XXe siècle, de Marie-Jo Bonnet, éditions Denoël, 1981, Paris
(293pp.) à la p. 34.
(2) Dans les pays africains suivants: Algérie, Angola, Bénin, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Djibouti, Éthiopie, Libye, Malawi, Mali, Mauritanie, Île Maurice, Maroc, Seychelles, Soudan, Swaziland, Togo, Tunisie; ceux d'Asie et du Pacifique: Afghanistan, Bengladesh, Brunei, Népal, Pakistan, Îles Salomon, Samoa occidental; au Moyen-Orient: Bahreïn, Iran, Liban, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Syrie, Émirats arabes unis, Yémen; en Amérique: Bahamas, Barbade, Nicaragua, Puerto Rico, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago. Les pays en caractères gras indiquent ceux où ces actes sont punissables de la peine de mort. Pour plus de détails, consultez le site Web de l'International Lesbian and Gay Association (http://www.ilga.org).
(3) Le terme catimini vient d'ailleurs du grec katamênia, qui veut dire menstrues."