«60% des lesbiennes ont expérimenté la lesbophobie.»
Entretien avec Nadine Cadiou, référente de la commission lesbophobie de SOS Homophobie, de 2003 à juin 2006.
L'association SOS Homophobie a été créée en 1994. La commission «lesbophobie» existe-t-elle depuis le début? La commission «lesbophobie» est née en 2003. L'association était alors majoritairement masculine et les aspects spécifiques des discriminations et violences faites aux lesbiennes, même s'ils étaient abordés depuis la création de l'association, étaient très insuffisamment pris en compte. La plupart des commissions ou groupes de travail ne comptaient pas de femmes parmi leurs membres. La mixité de l'association était menacée. Il fallait réagir à ce manque de présence des femmes et en 2003, nous avons organisé un recrutement pour rétablir la mixité au sein de toutes les commissions: plus d'une dizaine de militantes nous ont alors rejoints. Il y a donc eu davantage de lesbiennes à l'écoute, d'autres pour intervenir dans les écoles, d'autres encore pour travailler sur le Rapport annuel de l'association. Et nous avons pu créer la commission «lesbophobie» pour étudier ce qu'est la lesbophobie et ses spécificités par rapport à la gayphobie. C'est vrai que nous recevons sur la ligne et par mail de plus en plus de témoignages: nous sommes passés de 365 messages reçus en 1997 à 1.212 en 2005! Mais en pourcentage, la répartition entre les appels des gays et ceux des lesbiennes reste sensiblement constante: sur cinq appels, un seul provient d'une femme. La lesbophobie n'est pourtant pas un phénomène marginal et c'est ce que nous révèle, entre autres, l'enquête réalisée en 2004 par la commission «lesbophobie»: les lesbiennes sont plus de 60% à avoir rencontré des épisodes lesbophobes au cours de leur vie.
Pourquoi avoir tenu à monter un pôle indépendant dédié aux lesbiennes? La commission «lesbophobie» n'est pas un pôle indépendant «dédié» aux lesbiennes à SOS Homophobie. Nous n'avons pas souhaité travailler de façon dissociée des autres pôles de l'association, considérant que nous, lesbiennes, y avons toute notre place. Nous avons besoin, au contraire, les uns des autres. S'il est vrai que nos problématiques sont souvent différentes de celles des gays, nous pouvons aussi nous rejoindre dans bien des domaines et, à mon avis, l'union fait la force. À SOS Homophobie, nous disposons à la fois de l'expérience d'une ligne d'écoute de plus de 10 années d'existence, d'un cadre de travail respectueux, dynamique et d'un fonctionnement démocratique. Pour élaborer notre questionnaire nous sommes partis de notre expérience de l'écoute, identifiant les contextes et les manifestations. La commission «intervention en milieu scolaire» (IMS) nous a permis d'identifier les problèmes rencontrés par les lesbiennes dans le contexte de l'école, qu'elles soient élèves, étudiantes ou enseignantes. Pour communiquer sur l'enquête nous nous sommes appuyés sur la commission «communication». Le Rapport annuel nous a fourni un espace de communication supplémentaire. On reproche volontiers à la commission «lesbophobie» de ne pas être une structure autonome et non mixte. Que l'on soit lesbienne, gay, bi, trans ou hétéro, on peut militer dans la commission «lesbophobie»: seul compte l'investissement personnel au sein du groupe.
Pourquoi, selon vous, les lesbiennes témoignent-elles moins que les gays? Cela rejoint le long parcours de silence qui a été imposé aux femmes au long des siècles. Je vous renvoie à la lecture d'Ainsi soit elle, de Benoîte Groult. Une longue histoire faite de non-reconnaissance, d'impossibilité à dire, de droits non ou difficilement reconnus. Les choses évoluent, certes, mais la prise de parole n'est toujours pas, pour les femmes, une chose évidente, quand elle n'est pas tout simplement dévalorisée ou ridiculisée. Aujourd'hui encore, qu'une femme puisse avoir des prétentions politiques reste pour beaucoup terriblement agaçant et malvenu. Quasi illégitime! À ce sexisme bien encré dans les mœurs françaises et dont toutes les femmes font les frais, il faut, chez les lesbiennes, ajouter une discrimination supplémentaire: l'homophobie. Ces deux discriminations conjuguées rendent l'expression très difficile.
Dans quel contexte la lesbophobie frappe t-elle le plus? Nous avons, pour répondre à cette question, deux sources différentes de données, qui se rejoignent dans leurs conclusions. D'une part, les témoignages provenant de la ligne d'écoute et du site Web de l'association, dont les chiffres sont repris dans le rapport annuel 2006. Les contextes «travail» (cité dans 24% des témoignages des lesbiennes en 2005) et «famille» (23%) y arrivent en tête en matière de lesbophobie. L'autre source de données est l'enquête sur la lesbophobie, menée en 2003-2004 et qui a recueilli environ 1.800 réponses. Là, c'est le contexte de la «vie quotidienne» qui arrive en premier avec 45% des réponses, suivi de près par la «famille» avec 44%. Le milieu du travail n'arrive qu'ensuite, cité dans 24% des réponses. Cette prépondérance des chiffres relatifs à la «vie quotidienne» dans l'enquête s'explique par une autre répartition des items dans les rubriques du rapport annuel (on a regroupé dans l'enquête des thèmes qui sont dissociés dans le rapport annuel).
En comparant les chiffres globaux de la ligne d'écoute et du site Web (témoignages confondus des lesbiennes et des gays) avec les témoignages des lesbiennes exclusivement, on voit la spécificité de la lesbophobie par rapport à la gayphobie. Chaque année nous faisons le même constat: la famille reste un théâtre privilégié des manifestations de lesbophobie. Elle représente 9% des témoignages globaux en 2005, et passe à 23% quand on ne garde que les témoignages des lesbiennes. Le milieu professionnel est également un lieu important de manifestation lesbophobe, mais dans des proportions moindres toutefois: sur l'ensemble des témoignages, le travail représente 21% des appels et mails, alors qu'il est cité dans 24% des témoignages des lesbiennes.
Que conseilleriez-vous à une femme qui subit régulièrement des attaques homophobes dans son entourage? Le silence ne protège que les homophobes. Quel soutien peut attendre une personne qui ne dit rien de ce qu'elle subit? Le milieu familial qui se devrait protecteur est dans ce cas précis à l'origine du problème. Dire, c'est déjà faire une première démarche, et peut, par exemple, se concrétiser par un appel sur la ligne d'écoute de SOS Homophobie. Parler, c'est déjà engager une démarche positive. À SOS Homophobie, nous préférons ne pas donner de conseils à proprement parler. Pour celles qui rencontrent des problèmes avec leur entourage, c'est très difficile: on peut porter plainte contre un voisin, mais contre son père ou sa mère, c'est autre chose. Chaque cas est particulier, il n'y a pas de réponse toute faite. C'est une femme dont l'ex-mari fait tout ce qu'il peut pour qu'elle perde la garde des enfants… C'est une adolescente que les parents séquestrent… Une femme que la famille harcèle ou agresse physiquement… Une jeune lesbienne qui se retrouve sans ressource… Il n'y a pas de réponse unique, on envisage avec la personne qui nous appelle toutes les pistes. On écoute beaucoup. Pour certaines, parler, c'est, sur le moment, le maximum qu'elles puissent envisager.
Quels sont vos projets d'actions pour les mois à venir? Grâce à l'enquête, nous avons clairement identifié des contextes où la lesbophobie est présente. Nous sommes en train de mettre en place des actions de terrain. Ainsi, l'enquête a identifié les problèmes que rencontrent les lesbiennes avec les gynécologues: refus de soins, mépris, déni, moqueries, absence de prise en compte des sexualités des lesbiennes. Nous avons donc pris contact avec des professionnels de l'action sociale pour que les lesbiennes soient elles aussi soignées et suivies, sans discrimination aucune.
Comment peut-on vous contacter? C'est très simple, en appelant la ligne d'écoute au 0810-108-135.
Photo DR
par Tatiana Potard
Ecrit le : 2006-07-28
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